Chroniques de la Conquête du Pérou

 

 

"Cruautés des Espagnols"
(gravure de De Bry, 17e s.)


1) Chroniques rédigées par les conquistadors ou les témoins oculaires de la conquête du Pérou :

Francisco de JEREZ : La Conquête du Pérou (1534) . Ed. A.M. Métailié, Paris 1982.
Né vers 1497 à Séville, ce lettré partit à quinze ans pour Panama pour y faire l'écrivain public. Pizarro l'engagea comme secrétaire en 1524 et l'emmena dans sa première expédition. Xerez fut un de ceux qui renoncèrent en août 1527, lors du fameux épisode des
"Treize de l'île du Gallo". Lors de la conquête, il rejoignit le gouverneur à Coaque en août 1531, en tant que rapporteur officiel. A Cajamarca, dans le bref combat qui aboutit à la capture de l'Inca Atahualpa, il eut une jambe cassée et en resta handicapé.
En juin 1534, il était de retour à Séville et fit publier sa Verdadera Relacion de la Conquista del Perú, qu'il qualifie de "vraie" pour contrer celle de Cristobal de Mena, déjà parue. On lui a attribué en outre la Relacion Samano-Xerez qui est antérieure (1528), et relate brièvement les deux premiers voyages de Pizarro au Pérou.

Cristobal de MENA : Conquista del Peru llamada la Nueva Castilla (1534) . Extraits publiés par Francisco Carrillo dans "Cartas y cronistas del descubrimiento y la conquista", Ed Horizonte, Lima 1987.
Venu au Pérou avec Pizarro en 1531, ce capitaine cavalier fut d'abord un de ses favoris, puis tomba en disgrâce, peut-être à cause de ses bonnes relations avec Almagro. Il en résulta qu'il fut l'un des moins bien servis lors du partage du butin réuni à Cajamarca. Il le prit assez mal et rentra en Espagne en décembre 1533. Dès avril 1534, il fit publier sous l'anonymat sa chronique, où il exhale toute sa rancoeur à l'encontre du clan des Pizarro.
L'auteur de ce que l'on appella longtemps "l'Anonyme Sévillan de 1534" ne fut identifié qu'en 1935 par Raul Porras Barrenechea.

Pedro Sancho de LA HOZ (1534) . Extraits publiés par Francisco Carrillo dans "Cartas y cronistas del descubrimiento y la conquista", Ed Horizonte, Lima 1987.
D'abord simple fantassin, il devint secrétaire de Pizarro et chroniqueur officiel après le départ de Francisco de Jerez. Il le resta jusqu' au 15 juillet 1534 où il mit à Jauja le point final de la "Relation pour S.M. de ce qui arriva pendant la conquête et la pacification de ces provinces de la Nouvelle-Castille et de la qualité de la terre, après que le capitaine Hernando Pizarro s'en alla porter à S.M. la relation de la victoire de Caxamalca et de la capture du cacique Atabalipa".
Le manuscrit original de sa chronique est perdu; les versions modernes en espagnol, la première datant de 1849, sont des traductions de l'édition italienne de Ramusio, publiée à Venise en 1550.

"Nouvelles certaines des Isles du Pérou" (1534)
Ce petit opuscule, publié à Lyon en 1534 et dont l'unique exemplaire est conservé à la North Library du British Museum, est aussi appelé par les historiens "La Relation française de la conquête du Pérou". Un long sous-titre précise :
"S'ensuyvent les lettres de Francoys Pizarro gouverneur du riche pays et province nommee le Pérou faisant mention des merveilleuses choses tant veuez par ses propres yeux que par lettres à lui envoyees par ceulx qu'au mesme pays habitent aux quelles sont contenues plusieurs choses nouvelles tant des richesses inextimables d'or et d'argent et pierres précieuses en cette province trouvees et d'iceluy pays emenées que de plusieurs aultres marchandises et richesses, et ce depuis le temps qu'il monta sur mer jusques à présent."
L'ouvrage semble en fait une compilation de diverses lettres et de courtes relations manuscrites, sans doute originaires de Panama, qui collent d'assez près aux relations de Francisco de Xerez, Miguel de Estete, Pedro Pizarro, Cristobal de Mena et Diego de Trujillo. L'éditeur, en bon sujet de François Ier, égratigne au passage la conduite des Espagnols et explique la révolte des indiens de l'île de Puna contre les hommes de Pizarro par les mauvais traitements que ces derniers avaient fait subir aux femmes indigènes. Un point très intéressant pour les historiens concerne les évènements de Cajamarca : d'après cette relation, Atahualpa et son cortège seraient entrés armés sur la place de la ville et une division de 4000 soldats incas se tenait prête à couper la retraite de Pizarro.

Miguel de ESTETE : Noticia del Peru (1535) . Extraits publiés par Francisco Carrillo dans "Cartas y cronistas del descubrimiento y la conquista". Ed Horizonte, Lima 1987.
Capitaine issu d'une noble famille, il rejoignit Francisco Pizarro en 1531, participa à la capture de l'Inca Atahualpa à Cajamarca et, pendant que celui-ci était gardé prisonnier, accompagna Hernando Pizarro dans sa fameuse expédition à Pachacamac, dont il tint le journal en sa qualité d'inspecteur de la Real Audiencia.
Sa relation, écrite en 1535 est d'un grand intérêt et d'une impartialité convenable. Elle ne fut publiée pour la première fois qu' en 1918.

Diego de TRUJILLO : Relacion del descubrimiento del Reyno del Perú (1571).
Pizarro ramena en 1530 de Trujillo ce fantassin sans patronyme. Il participa aux évènements de Cajamarca, de Jauja et de Cuzco. En 1534, il partit avec Alvarado pour le Guatemala, puis rentra en Espagne deux ans plus tard. Sa fortune rapidement épuisée, il dut retourner au Pérou en 1547, après avoir été témoin à décharge au procès d'Hernando Pizarro. Il se fixa à Cuzco et recueillit chez lui les petits enfants d'Atahualpa dont il assura la tutelle.
C'est à la demande du vice-roi Toledo qu'il écrivit sa chronique qui couvre la période 1530-1571. Quoique brève, elle donne des informations originales. Le manuscrit en est perdu, mais Raul Porras Barrenechea l'édita en 1948, d'après une copie trouvée dans la bibliothèque du Palais Royal de Madrid.

Pedro PIZARRO : Récit de la découverte et de la conquête des royaumes du Pérou (1571). Ed. du Félin, Paris 1992. La première traduction en anglais est due à Philip Ainsworth Means, 2 vol., New York 1921.
Cousin germain de Francisco par leurs pères, il entra comme page à son service à quinze ans, et partit avec lui pour le Pérou en 1530. Il participa donc à l'expédition de Cajamarca, où l'Inca Atahualpa fut capturé, puis fit partit de la troupe commandée par Hernando Pizarro qui marcha sur Cuzco et dut défendre la ville contre les assauts de Manco Capac (1536), épisode où Juan Pizarro perdit la vie.
Son ouvrage, qui couvre les évènements survenus entre 1529 et 1554, est très influencé par les consignes passées aux écrivains par le vice-roi Toledo, tendant à propager la vision selon laquelle les Incas étaient des usurpateurs et des tyrans qui faisaient plier les populations indigènes sous un joug dont les conquistadors les avaient libérés. Il en profite au passage pour magnifier la figure de son cousin Francisco Pizarro (assassiné en 1541) dont la mémoire ne semblait déjà plus en grâce après la période tourmentée des guerres civiles qui opposèrent les différents partis de conquistadors juste après la conquête.

Fray MARCOS de NIZA (1495-1558)
Ce franciscain originaire de Nice partit rejoindre Pizarro lors de la conquête du Pérou. Mais il s'opposa très vite au clan des Pizarro, dénonçant les cruautés espagnoles envers les Indiens. En 1534, il fit partie d'une expédition conduite en Equateur par Pedro de Alvarado avant de partir pour le Guatemala en 1536 et le Mexique en 1537.
Il est l'auteur de plusieurs chroniques qui ont été perdues, parmi lesquelles une Historia de la conquista de la provincia del Perú et une Historia de la conquista de la provincia de Quito où il stigmatise, entre autres choses, les atrocités commises par Sebastian de Benalcazar.
Fray Marcos de Niza fit partie de ce groupe de Franciscains millénaristes et utopistes, qui essayèrent d'établir des sociétés idéales indiennes en Amérique. Ami de Bartolomé de Las Casas, il lui a fourni l'essentiel des informations dont ce dernier a disposé sur le Pérou.
Sur cet auteur, il existe une page web (en français) complète et riche d'indications bibliographiques :
http://perso.club-internet.fr/mnallino/marc.html


2) Chroniqueurs venus ou nés au Pérou après la chute de l'empire Inca :

Pedro CIEZA DE LEON : El Señorio de los Incas (1550).
Né en Estrémadure en 1522, il était de bonne famille et reçut une certaine éducation qu'il abandonna pour courir l'aventure à treize ans. D'abord, il servit en Nouvelle-Grenade (Colombie) sous divers capitaines. Dès 1541, il avait entrepris de noter avec précision tout ce qu'il observait. En 1547, il passa au Pérou avec Sebastian de Benalcazar afin de soutenir le président La Gasca aux prises avec la rébellion de Gonzalo Pizarro.
De Popayan au lac Titicaca, il continua de décrire, à la façon d'un guide, les régions traversées. Ces relations de voyages constituent la première partie de sa Chronique du Pérou. Ayant appris quel était son passe-temps, La Gasca le chargea de relater l'histoire et les institution des Incas, en le dirigeant vers les notables susceptibles de l'informer. Ce sera la deuxième partie de son oeuvre, El Senorio de los Incas (1548-1550), qui fut soumise à des membres de la Real Audiencia de Lima, versés dans les affaires indigènes. Les dons d'observation de l'auteur sont aussi indicutables que son honnêteté intellectuelle, et sa sympathie envers les vaincus ne manque pas de bon sens.
La paix rétablie, Cieza rentra en Espagne et, installé à Séville, se maria. Il eut le temps de terminer son oeuvre, la troisième partie de la Chronique du Pérou qui relate la conquête, et la quatrième qui traite des guerres civiles entre conquistadores, avant de mourir subitement, le 2 Juillet 1554. Une copie partielle permit des éditions défectueuses et limitées, du milieu du 19e siècle à 1979, date où le manuscrit autographe fut retrouvé à la Bibliothèque Vaticane.

Juan de BETANZOS : Suma y Narracion de los Incas (1551). Ed. Atlas, Madrid 1987.
Né en Galice, il vécut à Valladolid d'où il partit en 1523 pour Saint-Domingue. En 1539, il y était secrétaire de la Real Audiencia et d'un serviteur ou esclave péruvien qu'il avait acheté, apprit un peu de quechua.
En 1542, on le retrouve à Cuzco, interprète officiel de la couronne. Comme tel, il participa en 1544 aux enquêtes du gouverneur Vaca de Castro, puis sur l'ordre du vice-roi Mendoza, il interrogea les Incas les plus âgés sur l'histoire de la dynastie.
Son oeuvre est la compilation-traduction, à peine arrangée, de ces "interviews" rendus sans doute plus faciles de par son mariage avec doña Angelina Yupanqui, veuve de l'Inca Atahualpa et ex-concubine de Francisco Pizarro.
La supériorité de cette chronique sur beaucoup d'autres réside, malgré un style assez éprouvant, dans ses sources d'information elles-mêmes, c'est-à-dire des Incas contemporains des règnes de Huayna Capac et de la guerre civile entre Huascar et Atahualpa.

Cristobal de MOLINA, dit "El Chileno" : Relacion de muchas cosas acaescidas en el Perú (1552). Jeune prêtre séculier, imprégné des idées généreuses de Bartolomé de Las Casas, il débarqua au Pérou en 1535, peu après après la fondation de Lima (6 janvier), et gagna Cuzco avec Almagro, qu'il accompagna comme aumônier de son armée dans la conquête ratée du Chili.
Le comportement de ses compatriotes l'horrifia et il dénonça leurs excès dans sa relation. Bien que non datée et non signée, cette chronique lui est attri-buée par Jimenez de la Espada. Porras, quant à lui, pense qu'elle pourrait être l'oeuvre de frère Bartolomé de Segovia, religieux qui participa également à la conquête du Chili.
S'il est bien l'auteur de la chronique, Cristobal de Molina y survole les évènements de la conquête du Pérou, qu'il n'a pas vécu, mais donne des informations intéressantes sur les Incas et leurs fêtes religieuses. Il est l'un des premiers à s'étendre sur les cruautés commises par les Espagnols à l'égard des Indiens. A tel point que Las Casas le copia abondament dans sa propre Historia Apologetica . Sa chronique fut d'abord publiée en français en 1842, puis en espagnol en 1870 à Santiago du Chili.

Agustin DE ZARATE : Historia del descubrimiento y conquista de la provincia del Perú (1555). Secrétaire du Conseil Royal, trésorier, il fut envoyé au Pérou en 1544 pour en vérifier les comptes et rétablir les rentrées d'impôts mises à mal par les guerres civiles. Son neveu Polo de Ondegardo l'accompagnait. Attaché à l'infortuné Blasco Nuñez de Vela, il n'aboutit à rien et fut relevé. Rentré en Espagne avant 1549, il fut envoyé dans les Flandres comme superintendant des finances. Ce fut alors qu'il y écrivit son "Histoire", publiée en 1555, et où il puise dans la chronique, aujourd'hui perdue, de Rodrigo Lozano, soldat venu au Pérou avec Hernando de Soto.

Relación de Chincha (1558)
Cette oeuvre peu littéraire, signée par Diego de Ortega y Morejon et Fray Cristobal de Castro, deux bureaucrates chargées de la rédiger, est une source précieuse sur l'histoire de la côte centrale du Pérou. Les auteurs y décrivent avec précision le système de domination inca dans cette région : son administration, son système d'impôts, la rigueur des châtiments, etc, et permet d'apprécier comment, à partir d'un "protectorat" basé sur les échanges commerciaux, les Incas arrivaient peu à peu à étendre leur domination absolue sur les peuples qu'ils avaient subjugué.

Juan POLO DE ONDEGARDO : Tratado y averiguacion sobre los errores y supersticiones de los indios (1559)
Ce jurisconsulte arrivé au Pérou en 1544 avec le vice-roi Blasco Nunez Vela participa activement aux guerres civiles dans le camp loyaliste; il était, dit-on, capable de traverser les rivières à la nage et tirait adroitement de l'arquebuse.
Nommé corregidor (bailli) de Cuzco (1558-1561), il y fit un peu d'archéologie, car il s'intéressait à la culture indienne : il découvrit en 1559 les momies dissimulées de plusieurs couples royaux Incas. Il fut ensuite muté à La Plata (Sucre), puis le vice-roi Toledo, qui l'appréciait, le ramena à Cuzco en 1571. Il n'y resta qu'un an, peut-être pour lui avoir déplu en demandant la grâce du dernier Inca, Tupac Amaru, et fut renvoyé à La Plata où il mourut en laissant une grande fortune (1575).

Il rédigea de nombreux rapports, tous d'un grand intérêt, favorables aux indiens avant 1571, beaucoup moins par la suite. Dans toute son ample, mais confuse production, il faut mentionner : "Tratado y averiguacion sobre los errores y supersticiones de los indios" (1559) - "Instuccion contra las ceremonias y ritos que usan los indios conforme al tiempo de su gentilidad" (1567) - "Informaciones acerca de la religion y gobierno de los Incas", qui est l'un de ses rapports les plus fameux, fut publié à Lima en 1916 : cette édition comprend aussi le premier titre cité, ainsi que la "Relacion de los fundamentos acerca del notable daño que resulta de no guardar a los indios sus fueros" (1571).

Hernando DE SANTILLAN : Relacion del Origen, Descendencia, Politica y Gobierno de los Incas (1563)
Ce chroniqueur un peu monotone a fait de larges emprunts à ses prédecesseurs, mais il se distingue par le ton indigné avec lequel il décrit les exactions et les abus exercés par les encomenderos . Ces dénonciations lui valurent un procès et l'exil.

Girolamo BENZONI : Historia nel Nuovo Mundo (1565)
Ce voyageur milanais parcourut à partir de 1541 l'Espagne, les Canaries, Cuba, Saint Domingue, le Nicaragua et le Venezuela avant de parvenir en1547 en Equateur où il séjourna jusqu'en 1550, notamment à Quito, dans le but d'y faire fortune. Son entreprise ne fut pas couronnée de succès, puisqu'il en fut expulsé en tant qu'étranger par un décret du vice-roi La Gasca.
Il erra ensuite en Amérique centrale et à Cuba. Après avoir souffert plusieurs naufrages et autres mésaventures, il retourna en Espagne en 1556.
En 1565 à Venise, il publia, en italien, son Historia nel Nuovo Mundo où transparait toute sa rancoeur et son ressentiment contre les Espagnols. L'ouvrage connut assez rapidement une assez vaste diffusion et fut traduite en plusieurs langues... sauf en espagnol. C'est en 1962 seulement que Raul Porras en fit paraître une sélection dans son ouvrage "Los Cronistas del Peru".

TITU CUSI YUPANQUI : Relacion de la conquista del Peru y hechos del Inca Manco II (1570)
Fils de Manco Inca et troisième Inca de Vilcabamba, il assuma le pouvoir royal dans cette région lorsque son frère aîné Sayri Tupac accepta la conciliation du vice-roi Hurtado de Mendoza en 1557. A la mort de Sayri Tupac, il se déclara en rébellion ouverte contre les Espagnols et lança des incursion armées sur Cuzco et Huamanga (Ayacucho). Après l'intervention du gouverneur Lope Garcia de Castro, Titu Cusi fit envoyer deux mémoires aux autorités, leur exposant ses plaintes à propos des mauvais traitements endurés par son père et les conditions qu'il posait pour abandonner ses positions. Après pourparlers, il accepta que des missionaires viennent catéchiser les indiens de Vilcabamba et reçut lui-même le baptême, en 1568.
Avant de mourir d'une pneumonie (ou d'un empoisonnement), il avait dicté en 1570 au frère augustin Marcos Garcia une relation basée sur ses mémoires de la vie impériale des Incas, qu'il adressa au gouverneur. Cette "relation" fut publiée à Lima en 1916.

Pedro SARMIENTO DE GAMBOA : Historia Indica (1572)
Ce Galicien, né à Pontevedra, fut d'avantage qu'un simple aventurier : un véritable homme d'aventures, un grand marin (amiral de la Garde des Indes) et un excellent géographe qui avait fait des études universitaires. Sa vie est un roman : il participa à la poursuite des Incas rebelles de Vilcabamba, combattit sur mer contre Francis Drake, découvrit les îles Salomon en 1567 et explora en 1579-1580 le détroit de Magellan dont il fit le relevé. Il était aussi astrologue et cabbaliste, ce qui lui valut des démélés avec le Saint-Office de Lima en 1565, pour avoir fabriqué et vendu des anneaux et amulettes gravés d'inscriptions "magiques"...

Dévoué à la Couronne d'Espagne, il vaut sans doute mieux que son épisode de chroniqueur à la solde du vice-roi Toledo; les critiques actuels voyant en lui le chef de file des historiens "tolédanistes", c'est-à-dire défendant la vision imposée aux écrivains du temps par ce vice-roi : celle d'un Pérou asservi par la dynastie cruelle et immorale des Incas. Cette vue très partiale est affirmée dans sa chronique "Historia General llamada Indica", pour laquelle, selon ses dires, il recueillit les témoignages de 42 seigneurs des anciens lignages royaux. Il utilisa surtout le manuscrit de Juan de Betanzos, que dut lui confier le vice-roi. Toutefois, il n'en fit pas qu'une vulgaire copie, mais le réécrivit, le dégraissa, y ajouta des informations et en corrigea d'autres pour rendre son récit plus cohérent et plus rationnel.

Malgré cela, son oeuvre reste entachée pour avoir cédé à à la calomnie, et pour tout dire, à la propagande. Son manuscrit resta enfoui jusqu'en 1893, où il fut découvert dans une bibliothèque universitaire allemande. Pietschmann la fit publier pour la première fois en allemand, à Berlin en 1906.

Cristobal de MOLINA, dit "El Cusqueno" : Relacion de las Fabulas y Ritos de los Incas (1573)
Arrivé en 1556 à Cuzco, il devint curé d'une paroisse indigène, puis en 1570, visiteur général, c'est-à-dire "extirpateur" de l'idolâtrie. Il avait entretemps appris le quechua, qu'il parlait à merveille. Il convainquit le dernier Inca, Tupac Amaru, de se convertir avant son exécution (mai 1572).
Entre 1572 et 1573, il rédigea, sur l'ordre de son évêque, sa chronique, ouvrage incomparable sur la religion officielle, d'abord publié en anglais en 1873 par Sir Clement Markham, puis en espagnol à Santiago du Chili en 1913.

VALERA, le Père Blas : Historia de los Incas (1585)
Ce chroniqueur métis fut longtemps connu comme "le Jésuite Anonyme" et son oeuvre est probablement très diffusée à travers les fréquentes et nombreuses citations qu'en fait
Garcilaso de la Vega dans ses Comentarios Reales.
Né à Chachapoyas en 1551 et connaissant bien le quechua, il fut envoyé en 1571 à Cuzco pour y accomplir son labeur sacerdotal. Il reçut pour mission de compiler tout ce qui avait trait à l'époque des Incas, travail qu'il dut mener à bien entre 1580 et 1585. Vers la même époque, il rédigea, avec le Père José de Acosta, des cathéchismes en quechua et en aymara pour l'instruction religieuse des Indiens. Il voyagea ensuite en Espagne, à Cadix, pour superviser l'impression de son ouvrage. Mais par la faute du sac de la ville par les Anglais (1596), il n'en resta que quelques fragments qu'il remit entre les mains de Garcilaso de la Vega, avant de mourir en 1597.
Il est l'auteur d'unVocabulaire quechua, également perdu. On lui attribue aussi la chronique Las Costumbres antiguas del Perú, publiée par M. Jimenez de la Espada en 1879.


3) Chroniqueurs et moralistes du 17e siècle

Jose DE ACOSTA : De Procuranda Indorum salute (1588) - Historia Natural y Moral de las Indias (1590)
Ce chroniqueur est une des sources les plus précieuses sur l'histoire et les civilisations anciennes du Pérou. Poète, géographe, historien et savant, Alexandre de Humboldt le qualifia plus tard de "Pline du Nouveau Monde".
Né à Medina del Campo, il entra dans la Compagnie de Jésus en 1552 et arriva au Pérou en 1571. Il prit par à une expédition dans la zone andine organisée par le vice-roi Toledo, où son esprit curieux put s'exercer dans l'observation de la nature et de la condition morale et sociale des indiens. En 1580, il occupa la chaire de théologie de l'université San Marcos et entreprit d'écrire, avec l'aide du père
Blas de Valera entre autres, des catéchismes en quechua et aymara pour l'instruction religieuse des indiens.
La Doctrina cristiana y catecismo, publiée en 1584, est le premier livre a avoir été imprimé au Pérou. En 1585, il partit pour le Mexique puis rentra en Espagne en 1588.
Son Historia natural y moral de las Indias fut publiée à Séville en 1590 et fut longtemps considérée comme une oeuvre fondamentale sur la géographie, l'univers naturel et l'ethnographie de l'ancien Pérou Il y fait preuve d'un esprit étonnament libre, épris d'une méthode d'analyse presque humaniste.

Guaman POMA DE AYALA : Nueva Cronica y Buen Gobierno (1600)
Ce chroniqueur, sur lequel les historiens contemporains ne tarissent pas d'éloges, naquit en 1535 dans la province de Lucanas. Il avait un demi-frère religieux qui l'instruisit, si bien qu'à partir de 1565, il se mit au service du père Albornoz qui traquait dans sa province la secte millénariste des Taqui Onqoy. Il travailla ensuite avec le frère Martin de Murùa, aux alentours de 1590. Selon ses dires, il passa trente ans sur son ouvrage, gros pavé de 1188 pages, dont 400 planches de dessins, réalisées par lui-même.
Ces illustrations, qui révèlent un talent brut, mais certain, sont vivantes, évocatrices, pleines d'humour, et nous comblent de renseignements sur la vie quotidienne au temps des Incas. Leur immense intérêt réside aussi dans le fait qu'elles constituent quasiment la seule source iconographique que nous possédions sur cette époque de l'histoire du Pérou. Quant au texte, son espagnol suit d'assez près la syntaxe quechua.

Pour le fond, Guaman Poma n'a pas tiré toutes ses informations des traditions andines, loin de là : il a lu des historiens et les a souvent non pas recopiés, mais reproduits dans son style. On trouve ainsi chez lui des passages assez fréquents de Murùa.
Ce manuscrit, l'auteur l'envoya sans complexe au roi Philippe II en personne. On ne sait l'accueil qui lui fut reservé, ni ce qu'il en advint par la suite; toujours est-il que l'américaniste allemand Pietschman finit par le découvrir en 1908 à la Bibliothèque Royale de Copenhague.
Une édition française en fac-similé fut publiée par Paul Rivet en 1936 à l'Université de Paris ( Travaux et mémoires de l'Institut d'Ethnologie , t. XXIII )

Guaman Poma présente son manuscrit au roi Philippe II (dessin imaginaire)

A consulter, sur Guaman Poma, les pages qui luis sont consacrées dans l'excellent site Cultura Peruana (en espagnol) :
http://www.magicperu.com/atlas/default65.htm


Inca GARCILASO DE LA VEGA : Commentaires Royaux sur le Pérou des Incas (1609) . Dernière édition française : François Maspero/La Découverte, Paris 1982 (3 vol.).

De son vrai nom Gomez Xuarez, il naquit le 12 avril 1539 à Cuzco, fils naturel de Sebastian Garcilaso de la Vega, d'illustre famille, et d'Isabel Chimpu Ocllo Xuarez, fille du prince Huallpa Tupac, frère entier de l'Inca Huayna Capac. Il quitta le Pérou en janvier 1560, après la mort de son père, et n'y revint jamais; il projeta un retour en juin 1563, mais rata le bateau et y renonça.
Il rumina son oeuvre sur le Pérou jusqu'en 1590, où il entreprit de la rédiger, tout en terminant La Florida del Inca (la conquête de la Floride par Hernando de Soto, parue en 1605). Il prétend avoir puisé pour beaucoup dans ses souvenirs de jeunesse, mais en réalité, il fait de nombreux emprunts à d'autres historiens, parfois cités de façon tendancieuse, et extrapole largement la chronique du père
Blas de Valera, référence qu'il cite à de nombreuses reprises.

Les Commentarios Reales de los Incas qui s'arrêtent à la victoire d' Atahualpa sur Huascar (Huascar étant décrit comme l'Inca légitime et Atahualpa comme un usurpateur sanguinaire), furent édités à Lisbonne en 1609 et son Historia General del Peru (la conquête et les guerres civiles) à Cordoue en 1617. Garcilaso était mort depuis le 23 avril 1916.
Son ouvrage est d'une haute tenue littéraire, mais on comprend que l'auteur soit partial. Parce que son oeuvre fut rapidement connue et très largement répandue, il figura longtemps comme le seul historien du Pérou ancien, et fut porté aux nues à tel point qu'on le surnomma "l'Hérodote des Incas". En réaction, ce succès finit par provoquer à son encontre une mode "antigarcilasiste" tout aussi excessive. Aujourd'hui, les historiens soucieux d 'objectivité le consultent avec plaisir, mais aussi avec prudence.


Fray Martin DE MURUA : Historia General del Perú, Origen y Descendencia de los Incas (1613). Arrivé avant 1560 à Cuzco, ce frère de l'ordre de La Merced eut en charge diverses paroisses dans le Haut-Pérou, notamment à Puno et à Aymaraes, et y apprit le quechua et l'aymara pour mener à bien son travail évangélique. Il s'y disputa avec Guaman Poma de Ayala, qui l'accusait d'être un curé abusif et dissolu et le représenta comme tel dans l'un des dessins de sa chronique.
A partir de 1590, Murua se partagea entre Arequipa et Cuzco, où il s'établit en 1606 et rédigea sa version définitive de l' "Histoire Générale du Pérou" en s'inspirant beaucoup de Sarmiento de Gamboa; il l'acheva le 1er janvier 1613 à la Plata (Sucre), en rentrant en Espagne par le chemin de Buenos-Aires. Il mourut après mai 1916 et son manuscrit, qu'il n'avait pas réussi à faire publier, fut enfoui dans une bibliothèque de Salamanque. Volé par Joseph Bonaparte, pris par Wellington avec les bagages du roi, ce manuscrit fut retrouvé en 1951 dans une bibliothèque anglaise.

Chronique du Jésuite Anonyme (1615)
On a vu en son auteur le père
Blas de Valera. Les experts en discutèrent avec des arguments variés et subtils. Sans doute ne leur paraissait-il pas suffisant que la "Relation des coutumes antiques des naturels du Pérou" fût datée de1615 alors que le père Valera était mort depuis 1598. L'identification plus récente avec le père Luis Lopez n'est pas plus heureuse, l'évêque de Quito étant décédé en 1588. Comme Valera, comme Garcilaso, ce religieux était un métis qui voyait dans les Incas de nobles et irréprochables proto-chrétiens. Il est à prendre avec de grandes précautions.

Juan de SANTACRUZ PACHACUTI : Relacion de antigüedades deste reyno del Pirú (1615-1620)
Comme Guaman Poma, ce chroniqueur est d'origine indigène : il descendait d'un lignage de nobles Collaguas (au Sud-Ouest du Vilcanota).
Confit en dévotion, il prétend que son arrière-grand-père fut le premier baptisé de l'Empire, ce qui ne l'empêche pas de connaître par coeur les prières et les rites païens. On ne sait rien d'autre de lui. Tout l'intêrét de sa chronique réside dans la transcription des poèmes et chants épiques quechuas de la dynastie Inca. Elle n'est pas sans valeur, quoique tardive et donc entachée de légendes; elle doit quelques passages à
Martin de Murua.

Anello OLIVA : Historia del Reino y Provincias del Peru y Vida de los varones insignes de la Compaña de Jesus (1631). Edition moderne dans la collection Clasicos Peruanos (dirigée par Franklin Pease), Pontifica Universidad Catolica del Peru, Lima 1998.
Ce jésuite napolitain vécut au Pérou dans la première moitié du 17e siècle. Missionnaire actif et érudit, il s'intéressait aux vestiges laissés par les Incas. Ses informations ne sont pas de première main : elles proviennent d'un curé qui les détenait d'un secrétaire de l'Inca Huascar. On y perçoit aussi l'influence d'un autre jésuite, le Père Blas Valera. L'un des aspects les plus surprenants de sa chronique est qu'il prête aux Incas une origine quiténienne, ce qui est le comble pour des sources proches du lignage royal de Cuzco.

Francisco de AVILA : Hombres y dioses de Huarochiri (vers 1640)
Ce curé doctrinaire de l'ordre des Jésuites passa à la postérité historique avec la publication, par José-Maria Arguedas en 1950, d'une compilation de ses oeuvres que le grand romancier indigéniste intitula : "Hombres y Dioses de Huarochiri". Francisco de Avila avait reçu le grade de docteur en Théologie et en Droit à l'Université de San Marcos. Il voyagea ensuite à Chuquisaca (dans l'actuelle Bolivie). De retour dans les evirons de Lima, il prit en charge la paroisse de Huarochiri, où il se mit à catéchiser les Indiens et à extirper l'idôlatie, dans leur propre langue, le quechua, qu'il avait appris et étudié lors de son périple.
En même temps, il rédigea un Tratado y relacion de errores, falsos Dioses y otras supersticiones y ritos diabolicos , puis une Relacion de las Idolatrias En 1646, il fit publier son dernier ouvrage : Tratado de los Evangelios, directement écrit en quechua, où il a laissé de nombreux renseignements autobiographiques.

L'oeuvre de Francisco de Avila est d'un grand intérêt historique et ethnologique. Elle a été étudiée notamment par Julio C. Tello et Luis E. Valcarcel. Il semble qu'il ait été, à son époque, le meilleur spécialiste de la langue quechua. Son plus fameux sermon est dirigé contre Pariaccaca et Chaupinamoc, qui étaient les dieux vénérés par les indigènes de la région de Huarochiri. Hélas, il est probable que les écrits et les paroles ne lui suffisant pas, son zèle lui fait commettre des actes excessifs. Toujours est-il que les Indiens de sa paroisse portèrent à Lima une dénonciation contre ses abus qui devaient être assez graves puisque, sur l'ordre du Vice-roi, il fut emprisonné pendant deux ans.
Revenu en grâce, il fut finalement nommé "Visitador" des idôlatires dans les provinces de Huarochiri et de Jauja, où il mena à nouveau une grande campagne d'extirpation qui ne dut pas être douce, pour que
Guaman Poma de Ayala la dénonce plus tard dans sa chronique.

Antonio DE LEON PINELO : El Paraiso en el Nuevo Mundo (1650) - Publié par Raul Porras Barrenechea, Lima 1943.
Singulier mélange de fantastique et d'érudition, la chronique de Pinelo tend à prouver que le paradis terrestre se trouverait au Nouveau Monde, en pleine forêt amazonienne, dans un cercle de neuf degrés, gardé par des volcans. Il assure en outre que les quatre rivières des saintes écritures sont l'Amazone, le Rio de la Plata, l'Orénoque et le Rio Magdalena! L'Homme serait apparu pour la première fois en Amérique du Sud; ensuite, avec l'arche de Noé, il serait passé de la côte centrale du Pérou au continent asiatique pour de là, propager l'espèce humaine en Occident. Après quoi, il serait revenu à ses origines.

Dans ses descriptions de la nature, de la faune et de la flore du Pérou, Pinelo prend les mêmes libertés qu'avec l'interprétation de la Bible : il n'est question que d'amazones, de sirènes, de serpents ailés, d'arbres magiques qui emprisonnent ceux qui se reposent à leur ombre, de montagnes de sel qui avancent toutes seules, etc.

Fernando DE MONTESINOS : Memorias Antiguas, Historiales y Politicas del Peru (vers 1650). Jésuite peu édifiant et peu charitable, il vécut au Pérou à partir de 1628 ou 1629. Animé par un goût d'aventurier et une curiosité vorace, il sillona le Pérou et la Bolivie, allant jusqu'à traverser 60 fois les Andes, en tant que membre visiteur de la Real Audiencia de Lima. En 1637, il organisa une expédition dans la forêt amazonienne à la recherche de la légendaire cité de Paititi, que l'on croyait être l'El Dorado. Au cours de tous ses voyages, il recueillit un peu partout nombre d'informations et collecta tous les papiers de son ordre.
Malheureusement, il nous offre dans ses "Mémoires" un salmigondis indigeste où s'enrôlent sous la bannière inca des souverains de Huari, du royaume Chimú ou d'autres cultures antérieures. Il rédigea également des Annales du Pérou (publiées en 1906) qui couvrent la période allant de la conquête du Darien(!) jusqu'en 1642, et une Historia del Paititi demeurée inédite. Ce jésuite très prosélyte commit également plusiers petits ouvrages sur un sujet qui semblait lui tenir à coeur: la recherche des minerais et l'exploitation des métaux précieux.

La première traduction en anglais fut publiée par Philip Ainsworth Means, avec une introduction de Clements R. Markham, London 1920.

Bernabé COBO : Historia del Nuevo Mundo (1653)
Né en 1580, il avait seize ans losqu'il passa les mers, en 1596, et en 1601, il entra au noviciat jésuite de Lima avant d'être ordonné prêtre en 1612 à Cuzco. Nommé au collège jésuite de Juli, il devint missionnaire dans la région du lac Titicaca et en Bolivie, où il alla visiter l'Audience de Charcas. Infatigable, il parcourut tout le Pérou, puis se rendit au Mexique en 1629 avant de revenir à Lima vers 1642, où il devait mourir en 1657.
Il consacra en tout près de quarante années à la rédaction de sa monumentale Historia del Nuevo Mundo, ouvrage encyclopédique en trois parties et quarante-trois livres! Mais on en connaît seulement la première partie, imprimée à Séville entre 1890 et 1893 en quatre volumes. Les deux premiers tomes, travail original et précieux, répertorient et décrivent la flore du pays. Les deux autres, qui couvrent tous les aspects de l'empire des Incas, constituent un recueil de morceaux choisis sans mention d'auteurs. Cobo est cependant utile, car chez lui on trouve tout, et de plus, il a reécrit en espagnol limpide le charabia de certains de ses prédécesseurs, tout en enrichissant sa copie de détails intéressants recueillis ici et là.

(La plupart de ces notices biographiques sont issues de l'ouvrage de Roberte MANCEAU : Atawallpa ou la dérision du destin, Ed. Peuples du Monde, Paris, 1992).


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