la fastueuse cité de
Situés à 10 kms au Nord de
l'actuelle ville de Trujillo, sur la côte Nord du Pérou,
les vestiges de l'ancienne capitale du royaume Chimú
forment l'un des plus importants sites archéologiques de
l'Amérique précolombienne.
Sur un site d'abord occupé par les Mochica, puis par un
centre d'influence Tiahuanaco-Huari, la cité de Chan
Chan s'étale en bordure de l'océan, entre les rios
Moche et Chicama. Elle se trouve sur la frange occidentale des terres
irriguées par des canaux qui formaient un système
d'interconnexion entre les deux fleuves. Bâtie en terrain plat,
la capitale se compose d'une dizaine de vastes quartiers
murés, enfermés dans leur haute enceinte de terre
battue. Ce sont de grands quadrilatères ayant chacun de 400
à 500 m de long pour 200 à 300 m de large. La
superficie totale de Chan Chan devait atteindre à
l'époque de son apogée (12e-13e siècles),
environ 25 km2, en tenant compte de ses quartiers
périphériques.
Ces divers quartiers ou "citadelles", construits sur un plan
orthogonal, groupent une série de bâtiments tels que :
place de cérémonie enclose d'un haut mur avec des
rampes en plans inclinés, plate-formes funéraires,
palais du souverain, habitations de la cour et de l'administration,
casernements, magasins et silos de stockage, ainsi qu'un vaste
réservoir d'eau potable alimenté par la nappe
phréatique.
On sait, grâce aux derniers travaux,
que chaque quartier de Chan Chan a été fondé par
un souverain différent. Le roi édifiait ainsi pendant
son règne un palais nouveau, un centre administratif et une
plate-forme funéraire qui serait sa sépulture, celle de
ses proches ainsi que le lieu du culte qui lui serait rendu post
mortem .
Dans cette structure funéraire, formant un terre-plein, sont
ménagées des chambres à ciel ouvert, où
non seulement était déposée la dépouille
du souverain avec ses richesses en or, en tissus et en
céramiques, mais où reposaient aussi des dizaines de
victimes sacrificielles. Ainsi dans la Huaca las Avispas de Chan
Chan, qui est l'un de ces complexes funéraires, les fouilleurs
ont retrouvé 93 squelettes complets d'adolescents. Mais ce
n'était là qu'une partie du contingent livré au
rituel funèbre. On peut estimer que l'ensevelissement d'un
souverain Chimú devait s'accompagner de 200 à 300
sacrifices humains.
Les dix quartiers de Chan Chan ont reçu des noms parmi lesquels figurent ceux de fouilleurs et d'archéologues. Les travaux de l'équipe américaine dirigée par Michael E. Moseley en 1982 ont permis d'établir une chronologie de ces dix formations s'échelonnant entre la fin du 12e siècle et 1460 environ. Cette succession est la suivante : Chayhuac, Uhle, Tello, Labyrinthe, Gran Chimú, Squier, Velarde, Bandelier, Tschudi et Rivero. On peut assigner en moyenne 20 à 30 ans de règne à chaque souverain. Dans cette perspective, il faut se représenter le formidable investissement de travail que constituait, à chaque génération, la création d'un nouveau centre de pouvoir, alors que des rituels funéraires se perpétuaient dans les plus anciens quartiers de la capitale...
Ainsi la cité de Chan Chan ne cessa
de s'agrandir pendant près de trois siècles. Son
architecture d'adobes, avec ses bas-reliefs au moule, se
répétant en des perspectives infinies, devait
constituer un ensemble impressionnant et certainement unique sur le
continent américain à cette époque.
Son style décoratif alliant des motifs
répétés à l'infini d'oiseaux, de poissons
et d'animaux mythiques, illustre les longues frises sculptées
sur les parois de chaque palais. Les circulations à angle
droit courant entre de hauts murs, qui ne sont pas sans faire penser
à un gigantesque labyrinthe, le système
répétitif des constructions et du décor
conféraient sans doute un effet de masse et de puissance qui
répondait à l'organisation sociale et politique du
royaume tout entier, hiérarchisé et cloisonné de
la même manière.
On a donc affaire, à Chan Chan, à l'une des
premières grandes tentatives d'organisation politique de
l'espace urbain sur le continent américain.
Héritiers du pays et des traditions
Mochica,
les Chimú constituèrent sur les mêmes
déserts de la côte Nord du Pérou, vers 1300 de
notre ère, un royaume tardif qui allait devenir très
vite puissant et connaîtrait son apogée vers le 7e
siècle, peu avant d'être conquis par les Incas. Le
mythe de Naymlap
Après avoir subi la domination (ou l'influence) de la haute
culture dite de Tiahuanaco-Huari
, la côte péruvienne connaît alors avec le
"Gran Chimú" une fastueuse renaissance.
L'existence de Naymlap, fondateur légendaire de
la longue dynastie des souverains de la vallée de
Lambayeque - à laquelle appartiendrait le fameux
"Seigneur
de Sipan"- fut d'abord
consignée par le chroniqueur Cabello de Balboa au 16e
siècle, puis étudiée par Enrique
Brüning (1922-1923) et Federico Kauffmann Doig
(1964).
Suivant le récit légendaire, Naymlap serait
apparu sur les rivages des côtes de Lambayeque,
voguant sur une embarcation de roseaux tressés,
accompagné d'une suite de 40 nobles et de nombreuses
femmes et serviteurs.
Effigie de Naymlap
(Lima, Museo de Oro)
Il venait certainement du Pacifique, ce qui autorisa plus tard
certains historiens à échafauder la théorie
d'une migration océanienne vers le Pérou -
théorie que tenta de démontrer Thor Heyerdal avec le
Kon-Tiki.
Naymlap s'empara des villages voisins et devint bientôt roi de
la vallée de Lambayeque; cet évènement survenant
bien avant la phase dite de l'empire Chimú. Il est même
possible qu'il soit bien antérieur, car l'on retrouve parfois
la figure d'un personnage assis sur une balsa dans la
céramique Mochica.
Dans l'expression artistique de la culture de Lambayeque, Naymlap
apparait souvent sous la forme du fameux tumi, ou couteau
sacrificiel, travaillé en or.
Ces ailes, qui évoquent l'oiseau de mer, fournissent une autre
preuve de la provenance maritime du mythe, alors que dans la culture
antérieure de Chavin, c'est la figure du puma - ou d'un
félin - qui était prépondérante.
L'Apogée
Le royaume Chimú se caractérise par son système
centralisé et sa formidable organisation. Il donne naissance
à un essor urbain grâce auquel les besoins et le niveau
de vie ne cessent de croître. Un système administratif
puissant et une technique de production de masse, tant dans
l'agriculture que dans la céramique et les tissus, sont servis
par un réseau routier jalonné de relais où les
marchands touvent des gîtes d'étape. Un corps de
coureurs de poste, (chasquis),
système que les incas reprendront à leur compte, est
affecté à la transmission rapide des informations.
L'expansion urbaine fait de la cité la plaque tournante des
échanges et le lieu de rencontres entre les différentes
classes sociales. C'est également le siège du pouvoir
et le souverain s'y établit en d'immenses quartiers palatins.
Chan Chan fut, vraisemblablement alors, la plus vaste capitale
de l'Amérique andine. La cour est d'une opulence
extrême. L'architecture donne une importance primordiale aux
palais, par opposition aux constructions de l'âge Mochica qui
étaient surtout de caractère religieux.
Céramique
Les Chimus ont hérité d'une riche tradition
potière. Le style est caractérisé par sa
couleur, à prédominance noire, bien que le rouge joue
également un rôle important. La plupart des vases sont
moulés, non seulement pour la forme, mais aussi pour les
dessins. Bon nombre d'entre eux comprennent deux parties,
reliées par une anse. Cependant, ils ne parvinrent pas
à égaler, dans cet art, l'habileté et la finesse
de leur prédecesseurs Mochica.
Orfèvrerie et métallurgie
Aucun peuple de l'Ancien Pérou n'a produit autant d'objets
d'or que les Chimú, et n'a su travailler ce métal avec
autant de raffinement. Ils passèrent maîtres dans
l'art de façonner les métaux, et dans les diverses
techniques qui en découlent : soudures, placage, alliages,
incrustation de pierres précieuses... Hormis les tumis,
ou couteaux sacrificiels, on trouve de nombreux vases
cérémoniels, des plaques pectorales, d'innombrables
variétés de bracelets, colliers et pendentifs. De
très nombreuses pièces sont aujourd'hui
conservées dans les musées du Pérou, dont le
magnifique Museo de Oro de Lima.
Chute et domination Inca
C'est à la charnière des règnes de
Pachacutec
et de son fils Tupac
Yupanqui, c'est à dire en
plein 14e siècle, que les Incas attaquèrent le royaume
Chimú. Pour ce faire, les incas sollicitèrent et
reçurent l'appui des sujets du royaume de Cuismancu,
lesquels étaient traditionnellement ennemis de leurs puissants
voisins du Nord. Si les Chimú possédaient des troupes
nombreuses et d'imposantes lignes de défense, comme la
forteresse de Paramonga,
ou encore la fameuse "muraille du Santa", leurs dirigeants, amollis
par une vie de luxe et de plaisir, avaient perdu les qualités
guerrières de leurs ancêtres. Leur roi était
décidé à combattre, mais dut se résoudre
à capituler devant les incas, lorsque ceux-ci eurent mis le
siège devant Chan Chan et coupèrent les canaux qui
alimentaient la ville en eau. L'Inca Tupac Yupanqui,
magnanime, traita généreusement le roi vaincu et en fit
son nouveau vassal : il le maintint au pouvoir et fit instruire ses
fils à Cuzco, conformément aux principes de la
politique d'assimilation qu'il menait dans tout l'empire.