La figure du dieu Tonapa, ornant la Porte du Soleil de Tiahuanaco

 

Le lac Titicaca
et la civilisation de Tiahuanaco

Traversant la frontière du Pérou et de la Bolivie, le Titicaca s'étend dans la cordillière des Andes sous le 16° degré de lattitude sud; cette immense nappe d'eau qui serait le vestige d'une lagune quaternaire qui occupait l'altiplano, forme une véritable mer intérieure à 3 812 mètres au dessus du niveau de l'océan. Sa surface : 8340 km2 est le triple de celle du Léman. Dans sa plus grande longueur, le lac Titicaca mesure 220 kilomètres.
Etant donné sa taille, ses rivages sont très variès : au nord-est, on trouve des côtes rocheuses, la presqu'île de Copacabana est ondulée par des collines, les baies de Puno et de Guaqui sont couvertes de roseaux. Le lac Titicaca est alimenté par des rivières descendant des glaciers (Ilave et Pucara) : sa superficie varie donc sensiblement suivant la température. Le rio Desaguadero, qui part du lac, évacue le trop-plein d'eau vers le lac Poopó, situé beaucoup plus au sud, en Bolivie. Ce dernier se transforme en marécages quand l'apport d'eau du Titicaca diminue. La température de l'eau est d'environ 11°C et ne varie guère malgré les amplitudes journalières qui peuvent être importantes.

Vingt-cinq îles parsèment sa surface; côté péruvien,les plus importantes sont celles de Taquile et d'Amantani, à la sortie de la baie de Puno, toutes deux peuplées de petites communautés agricoles. Côté bolivien, se trouvent les deux îles légendaires de Titicaca (ou île du Soleil) de Coati (ou île de la Lune) sur lesquelles les incas avaient bâti des temples et des monastères; un détroit d'un kilomètre et demi les sépare. Sauf au nord et au sud, le lac est bordé de collines qui s'élèvent en pente douce; sur certains points, sur l'île de Coati par exemple, le rocher tombe à pic dans les flots.

On conçoit d'autant mieux que ce lac avec ses îles, ses ruines mystérieuses et les monuments édifiés durant la préhistoire qui parsèment ses rives, ait été le berceau des mythes sacrés et des dieux des habitants des hauts plateaux. De nos jours, sur le promontoire de Copacabana, face à l'île du Soleil, s'élève un célèbre sanctuaire. C'est là que, chaque année, au mois d'août, des milliers d'Indiens de la Puna et des hautes vallées se rendent en pèlerinage.
Les indigènes eux-mêmes sont ici plus étranges qu'ailleurs, dans la région riveraine du lac Titicaca habitaient encore au début du 20e siècle. des tribus primitives auxquelles Aymaras et Quechuas vouaient jadis un profond mépris: les Uros et les Chipayas. L'une et l'autre de ces races ont aujourd'hui disparu, même si à Puno des indiens vivent encore sur des "îles flottantes" faites de roseaux tressés en s'intitulant
Uros : ils ne sont là qu'à des fins purement touristiques.

le site de Tiahuanaco
Les monuments s'étendent sur un haut plateau désolé, où la végétation, rare et parsemée, est caractéristique de la triste et monotone puna . La structure principale, ou Acapana, qui se trouve sur un monticule naturel, constituait jadis une pyramide à étages, de 210 mètres de côté sur 15 mètres de hauteur. Cette formidable construction fut peut-être une forteresse, d'autant plus que l'on observe, dans la partie supérieure, une dépression, ayant sans doute fait office de réservoir d'eau, le Kalasasaya, qui occupe une superficie de 18000 m2, délimitée par des blocs taillés, semblables à des menhirs.
C'est en cet endroit que se trouve la fameuse Porte du Soleil , la plus célèbre des pierres sculptées de Tiahuanaco. Il s'agit, comme son nom l'indique, d`une porte ouverte au centre d'un bloc de 4 metres de large sur 3 mètres de haut. L'importance de celui-ci ne tient pas seulement à sa masse imposante, mais surtout aux frises sculptées dans la partie supérieure, représentant un personnage central, de petite taille et à la tête immense : les yeux sont verticaux, du visage irradient des serpents et divers autres motifs, dont nous ignorons la signification symbolique. Le personnage, que l'on a assimilé au dieu Tonapa, porte, dans ses mains à quatre doigts, deux sceptres, termines en têtes d'oiseaux. Le tout repose sur une sorte de pyramide.

Le Palais des Sarcophages est une autre structure très intéressante de Tiahuanaco. Cette construction semi- souterraine était jadis entourée par un double mur. La structure dite "Posnansky", à l'est du Kalasasaya, également à demi-souterraine, est constituée de pierres levées et de petits blocs. Des têtes-trophées apparaissent sur les murs.
Au sud de cette dernière, Bennett découvrit en 1932 un gigantesque monolithe (7,30 m de hauteur), qui porte aujourd'hui son nom : le monolithe de Bennett . Il s'agit d'une statue représentant un personnage entier, dont le corps est gravé de motifs de pur style Tiahuanaco. La structure de Puma-Puncu, ou "Porte du puma", consiste en différentes plates-formes, formées de grands blocs de pierre. Il se peut que ces ruines aient constitué un centre religieux, où les pèlerins venaient, à certaines périodes, collaborer à sa construction. Les carrières, situées parfois à plus de cinq kilomètres de distance, laissent supposer un travail collectif d'une ampleur colossale.


La culture de Tiahuanaco-Huari
et son expansion andine

partir du 8e siècle, la culture de Tiahuanaco va essaimer dans certaines régions du Pérou, sans que l'on puisse déterminer avec exactitude la route suivie. Ses premiers foyers semblent être les zones d'Ayacucho, Ica, Pachacamac. Dans la sierra centrale, elle essaima vers Huanuco et jusque dans les terres des indiens Chachapoyas, probablement en descendant le cours du rio Maranon. On ne sait exactement si cette expansion est dûe à une poussée - forcément belliqueuse - des gens de race et de langue Aymara, ni quelle en serait la cause. Irradié a l'origine vers Ayacucho, et amalgamé à la tradition locale Nazca, le nouveau style est désigné sous le nom de Huari (ou Wari), du nom du site proche de l'actuelle Ayacucho, où il fut étudié, dans la Cordillère centrale. Celui-ci se diffuse sur toule la côte, tout en se transformant peu à peu. Il couvre peu à peu tout le Pérou et se dote d'une forte structure politique que l'on a appellé "empire Wari".


Vase de style Tiahanuaco-Huari

Décadence de Tiahuanaco

près une centaine d'années d'expansion, la culture de Tiahuanaco passe par une période de décadence d'une durée indéterminée, caractérisée par un style de céramique dit "Tiahuanaco décadent", pour finalement se perdre dans des modalités régionales. Dans cette dernière phase, nous remarquons des traits particuliers, comme l'usage de trois couleurs pour former des dessins geométriques.

C'est alors que resurgissent d'autres styles régionaux, trouvant leur personnalité propre (Chimu, Chancay, Ica Chincha, Collao), qui disparaîtront à leur tour devant l'expansion incaC'est seulement après la disparition de l'hégémonie culturelle de Tiahuanaco sur le haut-plateau que semblent avoir été élevées dans la région ces imposantes tours funéraires appelées chullpas. Rondes ou carrées, elles sont faites de pierres appareillées ou grossièrement taillées; la chambre mortuaire se trouve la plupart du temps à l'intérieur de la tour, mais les tours de pierres grossières sont en général pleines et s'élèvent au-dessus de la tombe proprement dite, creusée dans le sol. Il se peut que le type à chambre souterraine soit d'époque pré-incaïque, l'autre étant postérieure.


Dessins de différents styles de chullpas, avec la façon dont étaient disposées les momies à l'intérieur. (illustration extraite de F. Kauffman Doig, Manual de Arqueologia peruana).

Le lac sacré des Incas
Nous n'avons aucune indication précise sur l'époque à laquelle les Incas arrivèrent sur les bords du lac. On sait seulement que l'Inca Pachacutec conquit le royaume des Collas et le récit que le chroniqueur Sarmiento de Gamboa fait de cette conquête cadre d'ailleurs avec les donnéees chronologiques. Toutefois, bien avant le règne de Pachacutec, les chroniques font de Mayta Capac le maître de cette région.
Il semble, à en juger par de nombreux indices, que les Incas étaient apparentés aux Collas. Qui sait même si Collas et Incas n'étaient pas un seul et même peuple? Ils auraient emmené vers le nord le dieu protecteur de leur tribu; plus tard, oubliant leurs origines, ils seraient revenus en conquérants dans leur ancienne patrie.
Cette tradition était si vivace que la tradition officielle inca faisait de la région du Titicaca ]e berceau de la race. Garcilaso de la Vega écrit à ce propos :
"Lorsque l'Inca Manco Capac comprit le parti qu'il pouvait tirer de la vieille légende, selon laquel1e le soleil avait lui pour la premiere fois au-dessus de l'île (Titicaca), et qu'il s'aperçut que, pour les Indiens, le lac et l'île étaient des dieux sacrés, il inventa un second mythe: lui-même et sa femme étaient les enfants du soleil. Leur père les avait envoyés sur cette île pour instruire les hommes et les gouverner dans leur propre intérêt... Sur la foi de ces Iégendes, les Incas et les peuples qu'ils avaient soumis considéraient l'île comme un sanctuaire. Ils y édifièrent un magnifique temple consacré au soleil, aux murs couverts de plaques d'or; chaque année, les provinces de l'empire y envoyaient des offrandes d'une valeur considérable, sous forme d'or et d'argent, pour remercier le dieu-soleil des bienfaits qu'il leur avait dispensés au cours de l'année. Le temple était aussi magnifique que celui de Cuzco. Outre les métaux précieux servant à fabriquer les objets du culte, l'île contenait de telles quantités d'or et d'argent que les récits qui s'y rapportent sont trop fantastiques pour correspondre à la réalité".

La statue du dieu-soleil, dont le culte fut instauré par l'Inca Pachacutec, prit place, à côté de celle de Viracocha, dans le sanctuaire de l'île Titicaca, en même temps qu'il faisait édifier, sur l'île voisine de Coati, un grand couvent de vierges du Soleil (acclahuasi) qui devint un des plus importants de tout l'empire. Il en subsite encore d'imposants vestiges.

L'énigme des Uros


Portraits de deux Uros de la région de Puno (vers 1930).

Très ancienne tribu, distincte des aymaras et des quechuas, qui habitait sur les rives du lac Titicaca jusqu'au début du 20e siècle. On ignore à peu près tout de leur origine qui se confond avec la mythologie du grand lac sacré. Certains américanistes voient en eux la dernière branche du peuple Puquina chassés des haut-plateaux par les invasions Aymaras vers la fin du 12e siècle.
Les chroniqueurs Herrera et Acosta rapportent que, vivant sur des radeaux de roseaux, ils suivaient les bancs de poissons. Non sans mal, les missionnaires parvinrent à les fixer sur les rives du Titicaca.
Leur réputation de paresse et de saleté était solidement établie; le Père Calancha raconte qu'il est plus facile d'attirer un brochet hors de son repaire que d'arracher un Uro à ses roseaux. Selon Anello Oliva, ils étaient si paresseux que, pour les obliger à travailler, l'Inca Roca les astreignit à lui verser un impôt sous forme de puces : "L'Inca Roca, écrit-il, ordonna à ces fainéants d'Uros, peuple d'oisifs et bouches inutiles, de lui livrer, chaque mois. en guise de tribut, des roseaux pleins de puces à raison d'un par individu; cela dans le seul but de les empêcher de ne rien faire...". L'histoire ne dit pas ce que l'Inca pouvait bien faire, ensuite, de cette pouilleuse contribution!
Les Uros étaient des êtres farouches, au teint presque noir. Ils parlaient un idiome très particulier, vivant exclusivement entre eux. On leur doit l'invention des barques de roseaux, les
balsas de totora, si étroites qu'un seul homme y trouve place et encore à condition de rester agenouillé. Sur ces esquifs, les Uros partaient à la pêche pour s'assurer de leur seul et unique moyen de subsistance...


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