CAJAMARCA : la fin d'un empire

Cajamarca, petite capitale de département de la Sierra Nord du Pérou, située à 2750 m d'altitude et comptant aujourd'hui près de 50 000 habitants, est considérée comme l'une des plus belles cités coloniales du Pérou. Elle a joué dans l'histoire de ce pays, un rôle considérable.
La rançon et l'exécution d'Atahualpa (gravures de De Bry)

En 1532, Francisco Pizarro débarquait à Tumbes, au nord du pays, dans l'intention de conquérir l'empire inca, dont il connaissait l'existence et la richesse. Il avait suivi, quelques années auparavant, la côte Pacifique, recueillant ainsi de précieux renseignements sur ce royaume puissant, s'étendant plus au sud. Il savait aussi que le grand Inca Huayna Capac (régnant entre 1493 et 1525) était mort, laissant le pays divisé entre deux de ses fils: Huascar, I'enfant légitime, conçu par son épouse, et Atahualpa, le fils bâtard, mais préféré... La situation était peu brillante en ce vaste domaine : le souverain legitime, vaincu par les partisans de son frère, avait éte fait prisonnier par celui-ci, qui tenait en main les rênes de l' état.

Le pays était alors partagé en deux camps ennemis, assoiffés de haine et de vengeance. Pizarro était conscient de l`opportunité de son arrivée : le moment était propice pour mettre à profit la guerre civile qui opposait les militants des deux prétendants au trône, au milieu du désordre général.

Entre-temps, Atahualpa, après avoir triomphé de son rival, séjournait dans la ville de Cajamarca. Là, il avait été informé que des hommes mystérieux, venant des mers, avaient pénétré sur le territoire inca. Ces curieux individus, d'autre part, semblaient faire corps avec un animal étrange, bien plus grand que le lama, inconnu jusqu'alors. Leurs armes, leurs cuirasses, leur rapidité à se déplacer ne pouvaient qu'intriguer au plus haut point les autorites gouvernantes, et leur faire redouter le pire. Pizarre semblait se diriger vers Cajamarca. Atahualpa décida de l'attendre là.
Mais par la foi des rapports qui lui étaient fait sur le petit nombre des Espagnols, ses craintes s'étaient ensuite peu à peu dissipées. Aussi, I'lnca ne sembla guère effrayé à la vue de ces visages barbus, fatigués, de ces chevaux epuisés, qui, après un voyage harassant de deux mois, étaient enfin parvenus à Cajamarca, où allait se jouer en un éclair le destin de tout un peuple.

Tout se déroula très vite. D'un côte, un jeune monarque, encore mal à l'aise sur son trône neuf, ignorant les intentions exactes de son interlocuteur, et désireux de les connaître. De l'autre, un conquérant avide d'or et de richesses, admirable de bravoure et méprisable de cupidité. C'est alors qu'un seul geste bouleversa le cours du temps, anéantit à jamais l'un des empires les plus puissants de ce monde. L'lnca, à qui l'on avait présenté la Bible, et à qui l'on demandait d'adopter la foi de Jesus et la suzeraineté de Charles Quint, repoussa orgueilleusement le livre saint et le jeta à terre. Sacrilège pour les Espagnols, et signal de la tuerie pour les soldats embusqués, où plus de deux mille indiens sans défense furent massacrés, sans que I'on enregistrât une seule perte du côté ennemi. Atahualpa, jeté à bas de sa litière, fut capturé par Pizarro lui-même. Ce terrible massacre eut lieu dans les derniers jours du mois de Novembre 1532.

L'épisode du Cuarto del rescate (Chambre du rachat)
Désormais prisonnier des Espagnols, l'Inca Atahualpa qui avait deviné et compris la soif de richesses des Conquistadors, offrit à Francisco Pizarro un marché en échange de sa liberté :
"L'Inca dit au gouverneur qu'il savait parfaitement ce qu'ils étaient venu chercher. Celui-ci lui répliqua que ses guerriers ne voulaient pas autre chose que de l'or pour leur empereur et pour eux-mêmes" (
Francisco de Jerez : Relation véridique de la Conquête du Pérou , 1534).

Francisco Pizarro alla voir l'Inca dans la salle où il était détenu et lui demanda quelle quantité d'or et d'argent il pourrait lui fournir. Alors, orgueilleusement, Atahualpa leva le bras au-dessus de sa tête et fit comprendre aux Espagnols que la pièce où il se trouverait serait remplie d'or. C'est le fameux épisode du Cuarto del Rescate (chambre du rachat, ou de la rançon), que l'on visite aujourd'hui encore, dans la ville de Cajamarca.
Cette salle mesurerait 22 pieds de long sur 17 de large (6,70 m X 4,20 m). On la remplirait jusqu'a une ligne blanche tracée a mi-hauteur; soit un peu plus de 8 pieds (2,45 m). Jusqu'a ce niveau, il se faisait fort d'y faire entasser différents objets d'or, tels que jarres, pots, tuiles, et bien d'autres encore. En argent, il donnerait deux fois le volume de cette piéce remplie jusqu'au plafond. Le tout serait livré dans Ies deux mois à venir.
Les Espagnols restèrent stupéfaits devant une telle proposition. Cette offre dépassait l'imagination ! Lorsque l'lnca l'eut formulée, le gouverneur, avec I'approbation de ses lieutenants, fit appeler un secrétaire pour consigner cette proposition et lui conférer la valeur d'un engagement solennel. Le volume de la pièce ainsi décrite par Francisco de Jerez, le secrétaire de Pizarro, était de 3000 pieds cubes, soit de 88 métres cubes.


Le Cuarto del rescate, ou "chambre du rachat", à Cajamarca (photo de l'auteur)

Dans la Cajamarca actuelle, le touriste est conduit dans une salle plus longue et plus large, dotée de solides assises incaïques et située dans I'une des rues étroites qui descendent en pente sur la grand-place. Cette piéce de plus vastes dimensions était déja montrée aux visiteurs du 17e siècle. En 16i5, le chef local indien y conduisit Antonio Vazquez de Espinosa et lui dit que cette salle "était et resterait telle qu'elle existait du temps d'Atahualpa, en hommage a sa mémoire". Il s'agit probablement d'une salle qui, faisant partie du temple du Soleil, peut avoir servi de prison à Atahualpa.

La suite de l'histoire est connue : de toutes les provinces du Pérou, affluèrent des convois d'or et d'argent; mais à la différence de l'Inca, les Espagnols ne tinrent pas leur parole et le firent éxécuter sur la grand-place de Cajamarca le 26 Juillet 1533.

Atahualpa étant mort, Pizarro proclama Inca le frère de Huascar, Tupac Huallpa, et se dirigea vers Cuzco. En cours de route, Tupac Huallpa mourut mystérieusement. Les Espagnols en rendirent responsable Chalcuchimac, l'un des principaux généraux d'Atahualpa et l'éxécutèrent. Peu après, Pizarro, s'emparant des palais et des temples de Cuzco, nomma Inca l'autre fils de Huayna Capac, Manco Inca. Il prit aussi comme concubine la fille même d'Atahualpa, Dona Angelina, dernier outrage au souverain déchu...

Les conquérants s'empressèrent de fonder des villes (Lima, la "Ville des Rois " en 1535) et de "pacifier" le pays. Mais en 1536, Manco Inca, fils de Huayna Capac, placé sur le trône par Pizarro, et témoin des atrocités commises par les nouveaux seigneurs, se souleva, s'emparant de la forteresse de Sacsayhuaman, qui protègeait la ville de Cusco. Le siège dura dix mois. Une armée de deux cent mille Indiens tenait farouchement tète aux hommes de Pizarro, pour finalement devoir capituler, faute de vivres. Après ces durs combats, Manco Inca dut se résoudre à fuir, et se réfugia dans la cordillière de Vilcahamba, au nord ouest de Cusco. C'était le premier des Incas rebelles de Vilcabamba; il fut lâchement assassiné, en 1545, par un Espagnol, à qui il avait donné asile. Trois de ses fils lui succédèrent : Sayri Tupac, Titu Cusi et Tupac Amaru. Avec la capture et l'exécution de ce dernier, en 1572, disparut la dynastie des Incas...



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